D’une façon générale, les stéréotypes masculins, caractéristiques que la société attribue à un groupe de personnes pour les classer instinctivement, profondément ancrés, mettent en avant des hommes forts, virils et inébranlables.
Ces idées préconçues, cette représentation caricaturale, les ont souvent obligés à se cacher derrière des masques et à adopter une attitude en désaccord avec les émotions qui peuvent les traverser, pour se protéger et pouvoir les ressentir à l’abri des regards.
Leur vulnérabilité et leur fragilité commencent seulement à être mises en avant.
Or, qu’est-ce qui, chez l’autre, nous attire et nous captive ?
Qu’est-ce qui éveille en chacun de nous l’amour et la tendresse qui lui ai associée ?
L’art de séduire ne réside pas forcément dans le fait de conquérir par un attribut physique et démonstratif, mais aussi dans une expression naturelle de l’être, une sensibilité et à une fragilité cachées.
Pour certains, l’attrait physique prévaudra sur le reste. Pour d’autres, un lien particulier allant au-delà de l’apparence. Ou encore, un équilibre entre le charme extérieur, l’apparence, et le charme intérieur, une histoire, une sincérité.
Pour ma part, l’homme qui ne craint pas de montrer son côté fragile et vulnérable, qui laisse sa sensibilité s’exprimer, est celui qui me touche profondément, attire et captive mon attention, parce qu’il m’offre son authenticité et par là-même son amour et sa confiance.
« Il y a du sacré dans les larmes, ce ne sont pas des signes de faiblesse mais de force. Ce sont les messagers de l’incommensurable chagrin et de l’indicible amour. »
– Washington Irving
Elle remonta le drap sur ses épaules.
Il avait mal dormi une fois encore et n’était parvenu à trouver le sommeil qu’au petit matin, lorsque les premiers rayons de soleil commençaient à s’insinuer à travers les persiennes.
Elle adorait l’observer lorsqu’il dormait, détaillant longuement chaque partie de son corps.
Pourtant, ce qui l’attirait allait au-delà de cette peau douce, que ses mains parcouraient régulièrement, provocant des frissons sous leur passage, au-delà de ces yeux clairs qu’elle devinait sous ses paupières closes, au-delà de ce sourire angélique.
Ce qui l’attirait, de façon inexplicable, était invisible, caché sous la matière, ces cicatrices profondes qu’il portait discrètement, marques d’un passé douloureux gravé en lui à jamais.
Un sentiment de tendresse l’envahissait chaque fois qu’elle portait son regard sur cet homme, dont le corps semblait, à cet instant, lui concéder quelques instants de répit, loin de toute agitation mentale.
Tout en l’observant, elle se rendait compte que la plupart des relations qu’elle avait eues, avaient été initiées à la suite de confessions intimes et bouleversantes, par ces hommes frappés par la vie.
Un abandon à la naissance puis le passage de foyer d’accueil en foyer d’accueil, privant de l’amour d’une mère et d’un père biologiques, laissant parfois des traces d’une maltraitance physique ou psychologique ; un épuisement émotionnel face à de lourdes responsabilités professionnelles ; le départ d’une femme profondément aimée ; une maladie difficilement surmontée ; et surtout la privation d’enfants dans des situations injustifiées.
Ce dernier point, qui revenait de façon récurrente, resterait toujours une interrogation pour elle : comment une mère pouvait-elle priver un père de ses enfants mais surtout priver des enfants d’un père ?
Elle avait elle-même connu la séparation et avait toujours fait passer le bien-être de ses enfants et de leur père avant les rancœurs, en mémoire sans doute d’une relation qui fut jadis basée sur l’amour. Un sentiment d’empathie avec une volonté d’apaisement pour une famille désunie et des enfants qui en souffrent suffisamment. Une volonté de maintenir un équilibre malgré la séparation.
Elle le contemplait. Pleine de compassion et d’admiration face à cet homme si souvent tombé à terre mais ayant toujours su puiser en lui la force de se relever.
Cette fragilité qu’il tentait de dissimuler, ces larmes qu’il tentait de contenir, faisaient de lui un oiseau blessé, accentuant l’amour qu’elle lui portait.
Combien de fois l’avait-elle entouré de ses bras, fermé les yeux et déposé un baiser sur son front avec la volonté de faire disparaître ce passé douloureux et refermer définitivement ses cicatrices ?
Elle le regardait, submergée d’émotion, se disant qu’elle aurait voulu qu’il n’eut jamais souffert.
Elle aurait souhaité effacer la souffrance endurée par chacun des hommes qu’elle avait connus. Être une fée qui, d’une caresse, d’un baiser, raccommode les cœurs lacérés.
Elle aurait voulu qu’il ne fut pas appris à ces petits garçons, ces futurs hommes, qu’un homme ne pleure pas parce qu’il se doit d’être fort. Ces larmes étant l’expression de la sensibilité qui sommeille en chacun d’eux et le droit d’exprimer ses émotions. Elle se souvint de son propre enfant, caché un jour sous une table, pleurant silencieusement. Lorsqu’elle lui avait demandé pourquoi il se trouvait là, il lui avait répondu « Papa dit que les garçons ne pleurent pas, il ne faut pas lui dire. » Elle l’avait pris dans ses bras, le serrant très fort et lui avait expliqué, les yeux plongés dans son regard plein de larmes qu’il avait tout autant le droit de pleurer qu’une fille, chaque fois que quelque chose le touchait, aussi bien dans des moments de peine que dans des moments de joie, qu’il n’y avait rien de plus merveilleux qu’un cœur sensible.
Elle se pencha vers lui, déposa un baiser délicat sur son épaule et tout en se serrant contre lui, lui murmura :
« Je t’aime.
Je t’aime parce que tu as souffert.
Que ton cœur cabossé a rencontré le mien.
Que tes larmes sont venues se mêler aux miennes,
Et qu’en m’offrant ton authenticité, tu m’as démontré ton amour. »
« Fragiles, sensibles, abîmés, cabossés, timides et maladroits, vous avez parcouru des chemins difficiles mais avez dans le cœur la force et les richesses de ceux qui ont souffert, et puis cette tendresse que tant d’autres n’ont pas. »
– Victor Hugo