Il y a quelques semaines, mon père a quitté ce monde après des années de lutte contre la maladie. Le choc et la tristesse ont laissé place à l’acceptation. Les souvenirs sont douloureux mais ils consolent à la fois.
Une photo posée sur un meuble tient lieu de présence et atténue le sentiment de vide laissé par la disparition. Des mots, des sourires adressés à un regard, à un sourire immortalisé.
Chacun de nous se trouve, un jour, confronté à la mort et surmontera le deuil à sa façon.
Il est des jours, des nuits où la tristesse est si forte que l’on a l’impression de se maintenir hors de l’eau accroché à une bouée de sauvetage. Où l’on se hisse sur une barque pour se laisser porter et évacuer toutes ces larmes qui nous tirent vers le fond.
Et d’autres jours, d’autres nuits où le soutien, l’union dans la douleur créent une force qui permet d’avancer.
Quelle que soit la façon dont chacun dépasse le deuil, les larmes finiront par se tarir avec le temps.
Remercions l’Univers pour ces précieux moments passés avec l’Être cher disparu et ayons foi en notre pouvoir de résilience.
« Lorsqu’un Être cher quitte notre monde, le cœur se rassure en fixant une étoile, une nouvelle étoile venue illuminer le ciel et donner à l’obscurité une splendeur particulière.
Face à cette immensité, les larmes se dissipent, le cœur se réchauffe, quand viennent les nuits froides où la solitude crée son lit. »
– Christine Bastos
Elle s’immobilisa à l’entrée de la pièce, le cœur battant la chamade.
Le silence était maître des lieux et la froideur qui y régnait lui rappela que la vie s’en était allée.
Elle s’était persuadée de ne pas vouloir le voir, allongé dans ce caisson qui serait son ultime lit, pour n’en garder que l’image d’un visage souriant.
Pourtant elle était là, sur le pas de la porte, voulant le voir et l’embrasser une dernière fois, lui murmurer son amour.
Le cercueil choisi était magnifique. Un blanc verni qui contrastait avec l’atmosphère lugubre de la pièce.
Elle s’approcha lentement, tremblante, un torrent de larmes silencieuses inondant ses joues.
Il semblait dormir paisiblement et les rides qu’il arborait habituellement avaient disparues, comme si sa souffrance s’était envolée. La maigreur de son visage était poignante et malgré tout, il était beau dans ses vêtements soigneusement choisis.
Il avait perdu ce combat contre la maladie mais partait la tête haute, laissant derrière lui l’image d’un homme d’une force et d’un courage exemplaires, un roc d’une solidité incroyable.
Des gouttes perlaient sur son front et lorsqu’elle se baissa pour y déposer un baiser, un frisson la parcouru, accentuant la tristesse qui l’habitait, face à la froideur de son corps.
Elle ferma les yeux tout en caressant ses cheveux gris.
Des souvenirs heureux vinrent se nicher sous ses paupières.
Elle était cette petite fille aux bouclettes, souriant de toutes ses dents face à l’objectif, un soleil vivant dans l’insouciance et la magie de l’instant.
Elle se remémorait des sorties à la fête foraine, des pique-niques dans les bois, des sauvetages dans l’océan qui faisaient de son papa un héros.
« Mon p’tit Papa » lâcha-t-elle dans un soupir.
Ses pensées la ramenèrent quelques mois en arrière, lorsqu’elle était arrivée à la maison familiale après des kilomètres interminables et la vue de son père l’avait transpercée. Ses bras semblaient dépourvus de chair et la peau qui recouvrait ses os saillants, était parsemée de multiples tâches violacées. La pénibilité avec laquelle il s’avançait et ses cheveux devenus entièrement blancs, laissaient à penser qu’il frôlait les 85 ans. Or, il n’en avait que 68.
Ces dernières années, il avait dû faire face à plusieurs maladies. Tuberculose, embolie pulmonaire et différents cancers.
Quelques rares anecdotes resteraient là, comme si elle les avait vécues.
Lui, tentant de s’échapper de son pensionnat avec sa sœur aînée, déguisés en vieillards ; lui, attaché à un arbre, jouant aux cow-boys et aux indiens avec ses copains, cet arbre auquel ils avaient mis le feu et duquel il avait été détaché par sa grand-mère ; lui, lâchant une poussette du haut d’une côte, dans laquelle se trouvait sa petite sœur, et rattrapée au bas par la plus grande. Les seules bribes joyeuses de sa vie semblait-il.
Son regard ne pouvait se porter sur son père qu’avec une infinie tristesse.
Il semblait ne pas avoir reçu d’amour et avait toujours eu du mal à exprimer celui qu’il portait incontestablement à ses enfants.
Il laisserait derrière lui l’image de ce fan inconditionnel de Johnny, chantant son amour, sa peine et son désespoir.
Combien de fois l’avait-elle regardé, le cœur serré en voyant ce pauvre homme, rongé par la vie, penché sur la table, la tête entre les mains ?
Elle rouvrit les yeux. Sa sœur et son frère s’approchèrent.
Ils se tenaient par les mains, formant un cercle autour du visage de ce père dont l’âme était encore probablement dans la pièce à les observer.
« Je crois en une vie après la mort, tout simplement parce que l’énergie ne peut mourir, elle circule, se transforme et ne s’arrête jamais. »
Albert Einstein
De longues minutes s’écoulèrent, durant lesquelles les seuls sons qui inondaient ce lieu étaient ceux des sanglots de chacun, venant perturber les musiques qu’ils avaient décidé de passer et qu’ils avaient si souvent chanté ensemble.
Marchant fébrilement derrière le corbillard pour l’accompagner jusqu’à sa dernière demeure, elle se concentra sur la beauté de ce cercueil blanc entouré de magnifiques fleurs.
Sa peine était immense, une plaie béante extrêmement douloureuse dont la cicatrisation paraissait impossible.
Les larmes semblaient intarissables, jaillissant d’un puit sans fond, des cœurs dévastés par l’absence d’un père qu’ils ne reverraient jamais.
Elle tentait de se convaincre qu’il ne souffrait plus et que la mort était une libération.
Marchant derrière son papa, elle était cette petite fille aux bouclettes, dont le sourire resterait figé sur une photo vieillie. Elle l’aimait de tout son cœur, de toute son âme, faisant confiance à la vie pour atténuer progressivement sa douleur.
Il ne souffrait plus.
Elle esquissa un sourire, ses bouclettes illuminées par le soleil, il était là, partout, un lieu, une chanson, mais surtout à jamais dans son cœur.
« Tu n’es plus là où tu étais, mais tu es partout là où je suis. »
– Victor Hugo